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Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports : «Si on veut une équipe de France féminine forte, ça commence dans la ... - Le Figaro

Pour mettre le sport au cœur de nos vies, la ministre mise sur les Jeux olympiques et Paralympiques comme accélérateur. Objectif : plus d'éthique, d'égalité, d'ouverture.

La première année de son mandat, entamée le 20 mai 2022, a été dense et électrique. Face à deux (désormais ex) présidents de fédérations puissantes, rugby et football, écartés pour de graves fautes de gouvernance, Amélie Oudéa-Castéra n'a jamais fléchi. Mettre le sport au cœur de la société française est sa ligne directrice, laquelle impose aussi un combat pour son éthique. Son bureau au 6e étage d'un grand bâtiment vitré est un lieu étonnamment doux et boisé, d'où l'on perçoit cette partie rénovée du XIIIe arrondissement de Paris, qui longe la rive gauche de la Seine. Des rangées de dossiers colorés scandent les différentes missions de la ministre, Jeux olympiques et paralympiques de l'été 2024 en tête. Derrière son bureau, un tapis de yoga, dont le conseiller assure qu'il est utilisé quotidiennement vingt minutes. La ministre tend la main, en jean et chaussures plates, très souriante, très précise aussi. Compétitrice de tennis douée adolescente, étudiante brillante, elle a investi quinze ans durant la vie d'entreprise avant ce poste politique de plein exercice. Les Jeux l'occupent aujourd'hui «à 40 % du temps, ce sera 80 % dans les prochains mois», ajoute son conseiller. Une exposition assumée pour une femme qui aime prendre des risques.

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Madame Figaro. – Chargée de dossiers multiples, vous êtes tenue par un calendrier implacable qui mène à l'ouverture des Jeux olympiques et paralympiques (JOP), le 24juillet 2024. C'est une responsabilité inédite. En quoi ce compte à rebours impacte-t-il votre stratégie et votre énergie ?
Amélie Oudéa-Castéra. – Ce compte à rebours nous oblige, et moi, j'ai constamment à l'esprit le sentiment de la rareté du temps. Ma feuille de route s'articule autour de trois piliers. D'abord, il y a l'organisation de ces grands événements que sont les Jeux olympiques et paralympiques, mais aussi la Coupe du monde de rugby, dès le 8 septembre. Ensuite, il y a la volonté de mettre davantage le sport au cœur de notre société, de sorte qu'il impacte mieux la jeunesse, permette à tous d'être en meilleure santé et serve enfin l'insertion professionnelle et l'inclusion face au handicap. Cela suppose des équipements, des aménagements du territoire, une pratique en milieu professionnel, donc des partenariats avec les élus locaux et les entreprises. J'aimerais enfin valoriser davantage nos sportifs de haut niveau, fortifier la gouvernance du sport, et le rendre plus responsable. Derrière ce mot, je mets à la fois la transformation écologique et la lutte contre toutes les formes de violence, notamment à caractère sexiste et sexuel.

Qu'est-ce qui fait des JOP le bon tremplin ? Pourquoi a-t-il fallu attendre jusque-là ?
Je ne dirais pas qu'il ait fallu attendre, mais oui, les Jeux sont un accélérateur. Nous avons une responsabilité historique, et si avec l'élan des Jeux nous n'arrivons pas à faire bouger les lignes, on sera passé à côté de quelque chose de capital, et la société avec nous. Je prends deux exemples concrets. Les sportifs paralympiques du monde entier vont produire un spectacle éblouissant. C'est, je crois, une occasion inédite de permettre à la société tout entière de changer son regard. Je pense aussi à l'école. Les grands sportifs savent mettre des étoiles dans les yeux de nos enfants. Or, ces derniers souffrent aujourd'hui d'une sédentarité, d'une addiction aux écrans et de risques d'obésité croissants. Une étude de l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, NDLR) montre que deux tiers de nos enfants et adolescents sont en risque sanitaire élevé (surpoids, troubles du comportement alimentaire, sommeil altéré…, NDLR). Ces Jeux nous offrent vraiment l'occasion de pousser le sport comme un outil d'émancipation, de discipline et de commun possible.

Nous avons une responsabilité historique, et si avec l'élan des Jeux nous n'arrivons pas à faire bouger les lignes, on sera passé à côté de quelque chose de capital

Amélie Oudéa-Castéra, ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques

Selon de nombreuses études, les cours d'école restent très genrées : les garçons au centre, les filles à la marge. Comment les réinventer?
La statistique sur ce sujet est édifiante. Les garçons dans une cour de récréation font un tiers de pas en plus que les filles ! Ils occupent les grands espaces, là où les filles, dans des zones plus confinées, se dépensent moins. On a investi un million d'euros pour travailler sur un design actif dans 200 cours d'école. Il s'agit de mettre en place des marelles XXL, de réserver des espaces pour les cordes à sauter, de peindre, pourquoi pas, en rose les terrains de foot… Bref, de partir à l'assaut des stéréotypes de genre. Aujourd'hui, notre équipe de football féminine rayonne, il n'y a aucune raison de penser qu'une petite fille de 8 ans ne peut pas exceller au foot et y prendre un plaisir immense. Si on veut une équipe de France féminine forte, ça commence dans la cour de récréation.

Vous avez généralisé, avec le ministre Pap Ndiaye, trente minutes d'activité physique quotidienne en primaire, deux heures de sport en plus au collège. Les filles font moins de sport que les garçons : comment les rattraper ?
En classe de 3e, un tiers de nos adolescentes ne font en effet plus de sport, au moins dans une pratique traditionnelle. Elles décrochent parce que leur corps change, que le regard des autres pèse. Voilà pourquoi nous avons besoin de reconstituer des espaces où les adolescentes se sentent plus libérées, pratiquent entre copines, sans évaluation ni compétition. Ces deux heures supplémentaires, nous devons les organiser en partenariat avec les clubs sportifs, auxquels nous demandons d'inventer une offre plus ludique, avec des sports urbains, du breaking, du Pilates ou du yoga, et des éducateurs rémunérés par le ministère des Sports. Cela demande de laisser les collégiens s'échapper de l'établissement pour retrouver, au club, un certain bonheur de bouger.

En classe de troisième un tiers de nos adolescentes ne font plus de sport, au moins dans une pratique traditionnelle

Amélie Oudéa-Castéra, ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques

Par «espaces entre copines», pensez-vous à des groupes non mixtes?
Plutôt à une offre qui évoluera à la carte. La possibilité de la mixité, entre filles et garçons, entre enfants valides et ceux en situation de handicap, doit évidemment perdurer ; comme peut exister le choix de faire du sport entre copines. Ne pas se sentir jugée, c'est déterminant. On le voit, il suffit de moqueries pour qu'une élève demande une dispense d'EPS, et c'est fini. Je ne veux plus que des adolescentes abandonnent une pratique sportive parce que, à un moment, elles ont souffert du regard des autres.

Vous avez été championne de tennis à l'adolescence. Ce que nous évoquons réveille-t-il des souvenirs ?
Ce sont des choses que j'ai vécues, la prise de poids par exemple, et qui ont pu être difficiles. En tennis, j'étais une enfant très précoce, avec une longueur d'avance entre 10 et 15 ans. Puis à 16-17 ans, à cause de difficultés personnelles et d'une progression qui ralentit un peu, j'ai connu ces moments où l'on devient plus vulnérable. Quand vous gagnez un peu moins, le regard des autres se modifie. D'invincible, vous devenez plus fragile, friable. Il faut composer avec les jalousies, la pression si vous perdez du terrain… Certes, c'était à l'échelle du sport de haut niveau, un monde différent de la cour du collège. Maisl'adolescencereste un moment pivot pour les jeunes et j'y suis très attentive.

Pourquoi notre pays, contrairement aux Scandinaves ou aux Anglo-Saxons, oppose-t-il encore les sportifs aux intellectuels ?
La France valorise la culture et ses artistes, valorise les sportifs pour leurs exploits, mais ne voit pas la combinaison épanouie d'un intellect qui fonctionne bien dans un corps actif. Nous sommes trop cérébraux, pris dans l'idée que le sport serait réservé aux passionnés. L'activité physique et sportive, c'est notre hygiène de vie. Vous savez combien post-Covid, les troubles de santé mentale se sont aggravés chez les étudiants. 40 % d'entre eux ne font pas de sport. Avec Sylvie Retailleau, la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, nous voulons travailler avec les universités sur une offre plus vaste et diversifiée pour eux. Mais je veux aussi absolument permettre à nos sportifs de haut niveau de conserver le plus longtemps possible une formation, un bagage d'études, pour qu'ils ne se mettent pas en risque et continuent à capitaliser sur l'ouverture que donne l'apprentissage. Je vous livre ce témoignage : ma pire année sur le circuit est celle où je me suis accordé un an sabbatique. J'avais 17 ans, mon bac en poche, mes parents ont accepté. Mais comme les études m'ont manqué ! J'étais asséchée, je n'avais plus que mon tennis. Et quand par exemple je me retrouvais au fin fond de la République tchèque pour disputer un tournoi, que je perdais mon match un mardi soir, restait alors toute la fin de semaine sans rien dans ma vie pour rebondir, me divertir, me dire que j'avais d'autres cordes à mon arc à développer. Je veux absolument, dans mon mandat, faire bouger les lignes sur ce sujet.

Nous sommes trop cérébraux, pris dans l'idée que le sport serait réservé aux passionnés. L'activité physique et sportive, c'est notre hygiène de vie

Amélie Oudéa-Castéra, ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques

Vous-même, quelles valeurs gardez-vous de cette enfance de championne ?
Mon moteur a toujours été l'envie de progresser, de comprendre, d'améliorer le geste, l'ouvrage, le projet, pour bâtir quelque chose dont in fine on puisse être fiers. Ce moteur est constant, jusque dans mes méthodes managériales, et je l'ai appliqué à différents objets : le sport, d'abord, la chose publique, ensuite, à l'ENA puis à la Cour des comptes, et l'entreprise, dont j'ai toujours été curieuse, probablement par atavisme familial – ma mère était DRH de grands groupes privés – et où j'ai passé près de quinze ans. Ça a été un voyage assez fantastique, duquel j'ai retiré énormément.

Et votre arrivée en politique ?
Lorsque Emmanuel Macron accède au pouvoir, j'ai le désir de l'aider à mettre au cœur de la société tout ce que le sport apporte d'exceptionnel. Il rassemble mille apprentissages et mille difficultés, mais apporte aux enfants et aux adolescents un trésor éducatif unique. Ça, je n'en démordrai pas. Je porte cette conviction. D'autre part, chaque fois que je fais une visite de terrain auprès d'enfants en situation de handicap, comme récemment à Clamart avec le président de la République ou dans le Val-d'Oise dans un club inclusif avec la première dame, j'entends des témoignages forts d'enfants, de parents, d'éducateurs, sur la confiance en soi, la maturité et l'apaisement que la pratique sportive procure aux enfants qui la partagent, valides et en situation de handicap. Le dernier élément, enfin, c'est l'insertion. Le sport peut être un fantastique tremplin pour donner des repères à des jeunes marginalisés. Quand il faut être à la salle de gym à 16 heures, et pas 16 h 40, obéir aux instructions de l'éducateur sportif, on se recadre. Le sport permet aussi aux recruteurs de repérer des talents, des savoir-être. C'est le sens des 200 opérations «Du stade vers l'emploi» que nous avons menées avec les missions locales et Pôle emploi. Sur tous ces volets, jeunesse, bien-être, inclusion et insertion, le sport est un outil extraordinaire.

Le sport apporte aux enfants et aux adolescents un trésor éducatif unique

Amélie Oudéa-Castéra, ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques

Jeunesse, bien-être, inclusion, insertion, vos mots sont engagés. Or, cet hiver, vous avez dû batailler avec un ex-président de la Fédération française de football de plus de 80ans, Noël Le Graët, qui n'était ni dans l'inclusion ni dans le bien-être…
J'arrive à ce ministère et fais face rapidement à une série de crises que je n'avais pas anticipées. Elles étaient là, il fallait les gérer. Et en tirer des leçons. C'est le troisième pilier de ma feuille de route, que j'évoquais en introduction : améliorer la gouvernance au sein du mouvement sportif français. Cela passe par la mise en œuvre de la loi du 2 mars 2022, qui impose déjà une plus grande démocratie au sein des clubs, des objectifs de parité dans les instances dirigeantes ou encore des obligations de transparence (extension de l'obligation de déclaration patrimoniale et d'intérêt, NDLR). Pour aller plus loin, j'ai installé un comité pour l'éthique et la vie démocratique, dont j'ai confié la coprésidence à Marie-George Buffet et Stéphane Diagana (la ministre de la Jeunesse et des Sports de 1997 à 2002 et le champion du monde du 400 mètres haies en 1997, NDLR).

Pourquoi Marie-George Buffet ?
Nos convictions sur le pouvoir sociétal du sport nous rapprochent. Je savais que c'était une femme qui me dirait la vérité, avec un regard exigeant et sincère ; restée proche des élus et du tissu associatif local, notamment au cœur de la Seine-Saint-Denis. Quand 80 % des investissements des JOP concernent ce département, cela prend tout son sens. Marie-George Buffet est d'un autre bord politique, et on travaille dans une logique transpartisane, comme pour les JOP avec Anne Hidalgo, Valérie Pécresse et l'ensemble des élus dans les territoires.

Quelle mission a ce comité ?
Je lui demande d'identifier les moyens de renforcer l'éthique dans le sport, d'améliorer la vitalité démocratique de nos fédérations. Je veux aussi une meilleure protection des pratiquantes et pratiquants face aux violences sexistes et sexuelles, aux discriminations anti-LGBT ou à la violence des supporters dans les stades. Le comité rendra son rapport en novembre.

Vous semblez intraitable. De quoi vous sentez-vous investie ?
Le sport se décrédibilise s'il perd son intégrité. On ne peut pas dire à des parents «voyez tout ce que le sport apporte de formidable à vos enfants» si ces derniers sont menacés d'attouchements sexuels dans le vestiaire. On ne peut pas dire à des enfants ou des parents «confrontez-vous à la compétition, vous verrez, le sens du dépassement c'est formidable» s'ils se font battre ou insulter par un éducateur dès qu'ils perdent un match. On ne peut pas dire que le sport est formidable pour le bien-être des femmes si en réalité elles sentent qu'il y a là un discours sexiste et que leur part reste inférieure de 20 % dans les postes à responsabilités. Mon admiration pour le sport, ma foi en son impact possible, ne doivent jamais être minées par ces défaillances.

Je demande au comité pour l'éthique et la vie démocratique d'identifier les moyens de renforcer l'éthique dans le sport, d'améliorer la vitalité démocratique de nos fédérations

Amélie Oudéa-Castéra, ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques

On met donc en avant des rôles modèles féminins, on protège mieux les filles dans les clubs… Mais quand éduque-t-on les garçons ?
En étant extrêmement ferme sur le fait qu'un certain nombre de paroles n'ont pas à être prononcées et que les victimes doivent être écoutées. Nous avons un travail à mener pour faire respecter l'obligation inscrite dans le code pénal de dénoncer les faits dont on est témoin, et faire en sorte que chaque acteur – judiciaire, administratif avec le préfet et disciplinaire avec le mouvement sportif – prenne les mesures en coordination. Si la justice prend une mesure d'éloignement contre un éducateur, aucun club ne doit plus l'employer. Il faut sensibiliser toute la chaîne, y compris les parents, pour mieux détecter les signes d'un mal-être chez un enfant.

Pour vous, à quoi ressemblera l'après-Jeux ?
J'ai les yeux rivés sur le 8 septembre 2024, date de la clôture des Jeux paralympiques. Je veux que, ce jour-là, on se dise que nous avons réussi à bien organiser ces Jeux, que nos athlètes ont gagné des médailles, qu'on a mobilisé les Français et bien positionné l'héritage des Jeux, en plaçant la pratique sportive au cœur de la société. Ensuite, j'aurai la tête haute, un sentiment de grande cohérence et une grande liberté. Et je ne sais sincèrement pas quelle sera la suite. Vous l'avez dit, ce compte à rebours est implacable. À l'heure où nous nous parlons, il nous reste 444 jours. Un chantier absolument immense nous attend. Et je veux qu'on le réussisse.

En vidéo, «Inequality Courts», la campagne qui dénonce les inégalités dans le sport

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