Search

Le roi des sports : l'édito de Raphaël Enthoven - Franc-tireur

Si le rugby est un sport exemplaire et magnifique, c’est qu’il est trois fois à l’image de la vie.

D’abord, parce que, depuis 1889 (et l’officialisation de cette règle par Harry Vassall), les joueurs doivent passer le ballon vers l’arrière, sous peine d’être sanctionnés d’un « en-avant ». L’idée de Vassall était de transposer au rugby les règles du jeu d’échecs où toutes les pièces, hormis les pions, peuvent rebrousser chemin, et où il est de bonne stratégie d’attirer l’adversaire dans sa moitié de terrain pour mieux le piéger. C’est ainsi que dans le rugby – qui est au sport ce que le moonwalk est à la danse – toute progression se fait à rebours. Deux pas en avant, un pas en arrière. Comme un mille-pattes se replie sur lui-même pour élancer son corps. Or c’est exactement ce que nous faisons dans la vie, ou plutôt ce que nous devrions faire : comment se donner un avenir sans reconnaître ce qui est révolu ? Comment avancer sans rétroviseur, ou sans avoir fait l’examen de ce qui précède ? Comment savoir où aller sans savoir d’où l’on vient ? Comment surmonter l’adversité sans avoir, derrière soi, quelqu’un pour nous soutenir ? Telles sont les leçons d’un sport de mouvement qui refuse de faire du passé table rase.

Deuxième particularité : au rugby, chacun peut avoir sa place, mais… la place en question ne peut pas être la même pour tous. Alors qu’au football, la taille et le poids ont assez peu d’importance et toutes les morphologies peuvent occuper tous les postes, vous ne mettrez pas, au rugby, un joueur au physique d’ailier dans la position d’un demi de mêlée (à moins de vouloir le punir). Un attaquant de deuxième ligne ne saurait avoir la physiologie d’un trois-quarts. Un talonneur ne ressemble pas à un pilier… Le rugby est ouvert à tous, mais la place qu’on y trouve dépend de la morphologie qu’on présente. Le rugby est un sport hybride, à la fois antique et moderne, démocratique et aristocratique, où la performance repose sur l’harmonie, où l’excellence individuelle dépend de la place qu’on nous assigne et à laquelle il faut savoir nous tenir.

Enfin, par la forme du ballon, le rugby se présente comme une science du hasard. Le rebond étant fatalement aléatoire (en tout cas incalculable), le joueur est sommé de s’adapter dans l’instant à la trajectoire qu’il ne maîtrise pas, comme la vie impose parfois de changer de chemin pour éviter l’impasse. Que faire de ce qui ne dépend pas de soi ? Le subir ? Croiser les doigts pour que la fortune soit favorable et crier à l’injustice dans le cas contraire ? Ou bien adapter son comportement à la situation créée par l’irruption de l’impondérable ? Le rugby est un sport stoïcien qui suggère de changer nos désirs plutôt que l’ordre du monde. La célébration de la force physique s’accompagne d’un éloge de la prescience ou du flair. À l’image de la vie, l’ovalie injecte dans le rugby une part irréductible d’aléa qui déborde la raison, qui contrarie toute prédiction, et qui ouvre le jeu sur ce talent très particulier qu’on appelle l’intuition, c’est-à-dire l’intelligence des situations. En cela, plus qu’un sport, le rugby est un art. 

Adblock test (Why?)

En savoir plus et une source d'actualités ( Le roi des sports : l'édito de Raphaël Enthoven - Franc-tireur )
https://ift.tt/VE1dF2U
Des sports

Bagikan Berita Ini

0 Response to "Le roi des sports : l'édito de Raphaël Enthoven - Franc-tireur"

Post a Comment

Powered by Blogger.