Difficile de passer à côté si vous avez traîné sur les réseaux sociaux ces trois derniers jours : du 29 au 31 octobre se tenait l'édition 2021 du ZEvent, le marathon caritatif organisé par Adrien "Zerator" Nougaret et Alexandre "Dach" Dachary. Plus de quarante-huit heures de live orchestrées par une cinquantaine de streamers, et plus de dix millions d'euros récoltés au profit d'Action Contre La Faim dans le cadre d'un week-end qui restera pour beaucoup historique. Cependant, derrière la démesure de la performance et les chiffres étourdissants, l'absence de réaction des organisateurs face à des actes sexistes et des scènes de harcèlement durant l'évènement soulève encore beaucoup de questions.
Pour la sixième année consécutive, cinquante des plus gros streamers francophones se sont réunis sous la bannière du ZEvent le temps d'un long week-end, avec l'objectif de récolter un maximum de fonds au profit d'une association caritative, en l'occurrence Action Contre La Faim. Ce 28 octobre, le coup d'envoi a été donné pour la première fois par le biais d'un concert d'inauguration ouvert au public et diffusé en direct sur Twitch, où jouaient entre autres les artistes PV Nova, LittleBigWhale, LEJ, Kikesa et Fianso. C'est toutefois le lendemain à partir de 20 heures que le marathon a officiellement débuté sur la chaîne de ZeratoR, après la traditionnelle introduction au mégaphone et les salutations de rigueur : les cinquante participants et participantes se sont rués vers leurs ordinateurs pour lancer chacun un live sur leur chaîne.
Les habitués le savent, le ZEvent c'est avant tout une aventure à suivre tout le week-end sur Twitch. On ne parle presque que de ça sur les réseaux sociaux, et les chaînes des différents participants sont fréquemment mises en avant sur la page d'accueil de la plateforme, réunissant au total plusieurs centaines de milliers de spectateurs. Il y en a pour tous les goûts, et c'est justement ce qui fait la force de l'événement ; chaque streamer vient avec ses propres "donation goals", des objectifs de dons à atteindre lors du week-end pour débloquer différentes récompenses. Si Gotaga parvenait à récolter 200 000 euros sur son stream, il promettait par exemple de se faire tatouer son logo sur le corps. Maghla, d'aller nettoyer une plage avec une association au-delà des 50 000 euros. Domingo, lui, s'engageait à survivre quatre jours sur un glacier s'il dépassait les 200 000 euros, tandis que RebeuDeter et son compère Amine se sont lancés le défi de faire Paris-Marseille à pied pour 200 000 euros également. Du côté de Jeel, l'objectif final était l'ascension du Mont Fuji une fois le palier des 80 000 euros passé.
C'est notamment pour cette raison que l'événement parvient chaque année à fédérer autant de monde autour d'une même cause. Chaque streamer amène sa communauté, son univers et son style pour faire de ce week-end un moment unique pour les spectateurs. Ces derniers s'activent quant à eux par centaines de milliers sur le chat dans le but de battre les records de l'an passé. En vous baladant sur Twitch entre vendredi soir et lundi à minuit, vous avez par exemple pu entendre MisterMV lire Le Temps des Tempêtes avec de l'autotune, assister au vol Montpellier-Moscou en temps réel sur la chaîne de Jean Massiet, suivre la nouvelle édition de Questions Pour un Streamer présentée par Samuel Etienne, rire aux larmes quand Antoine Daniel a dessiné certains de ses collègues sur Paint ou chanter avec LittleBigWhale qui organisait des sessions karaoké nocturnes devant plus de 40 000 personnes.
Il ne fait aucun doute que le ZEvent est aujourd'hui devenu un événement incontournable de la scène Twitch francophone, qui parvient à faire parler de lui bien au-delà de la simple sphère du streaming. Cette année a par exemple vu Emmanuel Macron apporter une nouvelle fois son soutien aux participants, comme ont également pu le faire Soprano, Vald et d'autres artistes. L'idée, c'est également de montrer que la communauté Twitch et les joueurs sont capables d'accomplir de grandes choses pour la bonne cause. Cette édition 2021 a permis de récolter, malgré quelques problèmes techniques et des soucis de connexion au lancement, plus de dix millions d'euros au profit d'Action Contre la Faim, tout en sensibilisant un public assez jeune à son travail et en donnant directement la parole à ses représentants. A chaque nouvelle édition, le ZEvent gagne en ampleur, au point qu'on se demande comment ils parviendront à battre les records nouvellement établis l'année suivante.
C'est cette ambiance si particulière, qui met l'accent sur la proximité avec les streamers, que des millions de personnes viennent apprécier tout le week-end. Suivre le ZEvent, c'est aussi avoir l'impression de prendre part à une folle épopée et de faire partie d'une grande famille qui se réunit l'espace de quelques jours. Les différents streamers n'hésitent pas à interagir entre eux, à débarquer sur la chaîne de l'un ou de l'autre, et à prendre part aux délires de leurs voisins de tablée. C'est ce côté spontané, inattendu qui rend aussi l'événement si intéressant à suivre.
Si l'évènement et le dispositif qui l'accompagne ont donc des arguments à faire valoir, ils soulèvent également des questions relatives à la modération d'un rassemblement si massif. Avec cinquante streamers qui s'activent presque 24 heures sur 24 pendant trois jours, chacun avec leur style et leur communauté, il semble difficile de contrôler tout ce qui s'y passe. En 2018, les deux YouTubers de Wankil Studio organisaient par exemple au sein de ce grand rendez-vous un "test de pureté" à l'aide d'un dispositif d'eye tracking, conviant plusieurs participants à regarder des extraits vidéo mettant en scène des créatrices de contenu, avec comme défi de "ne pas regarder leur décolleté ou leurs fesses". En 2019, le YouTuber Jiraya postait également un tweet transphobe pour se moquer d'un spectateur du ZEvent qui s'étonnait de la faible représentation des femmes et des personnes racisées durant l'événement. Il est suivi par plusieurs centaines de milliers de personnes sur Twitter.
Cette année, un groupe de streamers a une nouvelle fois organisé une session d'eye tracking challenge, durant laquelle Samuel Etienne, Michou, Inoxtag et d'autres s'essayaient au "jeu du regard", sexualisant au passage les créatrices de contenu et les femmes mises en scène dans les vidéos, tandis que des centaines de messages sexistes et virilistes étaient postés dans le chat. Sur le moment, les streamers ont choisi de présenter ça comme une blague potache, participant du même coup à la sexualisation des femmes sur Twitch, devant plusieurs centaines de milliers de spectateurs qui pourront ensuite en trouver les rediffusions sur Twitch et YouTube.
Les choses ont pris une toute autre tournure lorsqu'Inoxtag, jeune créateur de contenu considéré comme l'un des représentants les plus influents de la nouvelle vague YouTube (aux côtés de Michou, LeBouseuh, Locklear et d'autres), a appelé en direct l'actrice mexicaine Andrea Pedrero, qu'il avait rencontrée quelques mois auparavant. Dans une séquence diffusée en direct sur Twitch, il lui a annoncé au téléphone avoir acheté son billet d'avion pour qu'elle vienne le voir en France pendant le ZEvent, criant vouloir lui "faire l'amour", provoquant l'hilarité de ses confrères et de milliers de personnes dans le chat. Lorsqu'Andrea arrive finalement sur place pour le dernier jour du ZEvent, elle prend part à des jeux en direct avec Inoxtag, qui profite du fait qu'elle ne parle pas couramment français pour lui faire dire des obscénités, jouer au fameux eye tracking challenge avec elle et répétant à longueur de temps qu'il va "la soulever". C'est d'ailleurs précisément cette séquence qui a réuni plus de 450 000 personnes en direct, battant ainsi le record du nombre de spectateurs simultanés pour une chaîne Twitch francophone.
Alors que ses camarades félicitent béatement Inoxtag d'avoir battu un tel record, la streameuse Ultia est une des rares à émettre des réserves, au micro, sur la scène qui vient de se dérouler : « Il lui dit que des trucs sexistes, le tchat est sexiste. Évidemment que ça fait des viewers. Et nous on applaudit quelqu’un alors que tout le monde était en train de la fétichiser, de la sexualiser parce qu’elle ne parle pas français. Ça ne fait rire que des misogynes. Et de dire que c’est une blague... Ah bah, sous couvert de blague, on peut en dire des choses homophobes, sexistes, racistes... C’est très facile de dire que c’est une blague. Le record de viewers, mais à quel prix ? ». Une prise de conscience isolée, qui va hélas avoir des répercussions particulièrement dramatiques.
En dépit des excuses d'Inoxtag, l'engrenage est enclenché. Le créateur de contenu n'arrive pas à contrôler sa communauté, et ce sont des milliers de personnes qui prennent part à un harcèlement massif à l'encontre d'Ultia, qui voit son nom être mentionné en tous sens sur les réseaux sociaux, et sa réaction être tournée en ridicule. Menaces de mort, menaces de viol, propos sexistes, dégradants et mysogines, minimisant la gravité de la situation et faisant passer la streameuse pour une simple rabat-joie alors qu'aucun de ses cinquante collègues ne prend publiquement sa défense. Sur le moment, elle se retrouve seule, alors que tout le monde félicite Inoxtag pour le record d'audience qu'il vient de battre et que Zerator sort un mégaphone pour l'applaudir.
Cette vague de harcèlement a contraint Ultia à mettre son compte Twitter en privé, avant qu'elle n'avoue avoir reçu des menaces de mort et de viol directement sur son compte Instagram. C'est seulement dans les heures qui suivent que quelques autres streamers de l'événement manifestent leur soutien à son égard via leurs réseaux sociaux respectifs. Quelques semaines après le piratage de Twitch qui a une nouvelle fois mis en lumière la faible représentation des femmes sur la plateforme, quelques mois après les différentes protestations en ligne réclamant davantage de sanctions de la part des instances de modération (#ADayOffTwitch, notamment) et alors même que les femmes sont encore moquées et constamment sexualisées sur la plateforme, qu'un tel incident puisse arriver au cours d'un des évènements les plus suivis de la scène stream française pose à nouveau question. Celle du rôle de la modération et des organisateurs dans la sensibilisation des différents participants (neuf femmes, quarante-deux hommes) aux sujets du sexisme, du racisme ou du harcèlement. Celle, encore, du contrôle de ce qui est diffusé durant l'évenement, devant un public souvent jeune et parfois dénué de repères face à ces problématiques.
Le principal instigateur du rendez-vous s'est quant à lui illustré par une prise de parole tardive et hasardeuse, qui l'a conduit à qualifier l'incident de "pseudo drama" en toute fin de marathon, remerciant ironiquement ceux qui auraient "découvert l'événement via Twitter". Des propos que Zerator a rapidement supprimés de son compte Twitter, pour les remplacer par un nouveau post, citant des "comportements abusifs" et condamnant officiellement les manifestations violentes subies par Ultia. Il aura fallu attendre plusieurs heures, et nombre de messages de soutien émanant de différentes personnalités publiques, pour en arriver là. Si l'objectif financier du ZEvent semble à nouveau avoir été largement dépassé, celui de son exemplarité demeure donc encore assez loin d'être atteint.
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Divertissement
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